Poèmes

Inspiré par une exposition de sculptures de Washington Chifamba à la galerie Cupillard (Grenoble), l’écrivain Hervé Bienfait a composé des poèmes à propos des statues « Jumeaux amants », « Penseur », et « Guérisseur ».

Les jumeaux amants

Rêve brisé.
C’était la pointe d’une flêche
lancée dans l’aube du monde.
à la proue, le crâne unique, siamois,
et puis un sillage noir,
deux longues figures
aux yeux dormants,
comme une cosse ouverte,
éclatée par le milieu.
Les deux arêtes, les bouches
jumelles et différentes,
un seul cou cependant.
Les jumeaux aux lignes pures
volaient comme des amants
au dessus des eaux troubles.
Ils avaient grandi ensemble
au même lit.
En sortant du même sommeil
sur la pierre à savon,
chacun apprenait
à se tourner de son côté,
un baiser sur les lèvres.

Hervé Bienfait, septembre 2000

Le penseur

Pour comprendre le comment de l’arbre
– la branche –
et le pourquoi – les racines –
il incline la tête
de trois quarts.
Un changement d’angle de vue.
Il est l’aigle qui tourne au dessus de sa chose
pour mieux en saisir l’esprit
avant d’atterrir
le cou rentré dans l’épaule.
Il pense énormément dans la double bosse
de l’épaule et du crâne, ovales.
Il est matheux mais aussi philosophe.
Une boule de mots dans la bouche,
il fait longue figure
en tirant sur ses lèvres ventouses
et suppute la solution
comme le grand fourmilier
qui happe les reines et les ouvrières
les yeux baissés.

Hervé Bienfait, septembre 2000

Le guérisseur

– Comment ce gros homme
aux plis d’éléphanteau
ferait-il des guérisons ?

– Comment les cheveux emportés
par la tornade de sable
détiendraient-ils une force ?

– Comment ce boubou défait
par l’effort et la sueur
revêtirait-il une sagesse ?

– Ne voyez-vous pas, frères,
ce flair de babouin,
les énergies culbutées,
canalisées dans ce poitrail
de buffle paisible ?
Ne voyez-vous pas, frères,
le tête-à-queue des maléfices
entrechoqués dans ce buste
de bon sorcier ?
Il vous sortira du mauvais sort,
il entendra votre douleur
et la tordra de rire
ou la fera sourire.

Hervé Bienfait, septembre 2000

© Le Plafond Ouvert, 2012